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13 décembre 2014 6 13 /12 /décembre /2014 13:43

Lors de la terrible tempête qui a touché le Népal à la mi-octobre 2014, le guide québécois Richard Rémy se trouvait sur l’itinéraire du Mustang-Phu, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau à l’est du Thorung La. Accompagné de huit clients et d’une équipe locale de vingt-trois Népalais, Richard, qui dirige l’agence Karavaniers, a pu compter sur son expérience et son sang-froid pour assurer la survie de son groupe dans des conditions qu’il décrit lui-même comme “les pires conditions jamais rencontrées”.

Son récit fait froid dans le dos. Mais il s’avère également riche d’enseignements pour tous ceux qui fréquentent les plus hautes montagnes du monde, dans des conditions souvent clémentes, mais toujours imprévisibles. Richard Rémy a accepté de partager cette expérience avec nous, et avec nos lecteurs. Nous publions ici son récit en intégralité. Qu’il en soit remercié.

Népal : pris dans la tempête

Par Richard Rémy

Précisons d’entrée de jeu que j’ai, comme guide, environ 25 ans d’expérience, que j’ai guidé, en montagne (pour n’en nommer que quelques-uns) au Pérou, en Équateur, en Colombie, en Bolivie, en Tanzanie, en Ouganda, en Arctique (été comme hiver), en Terre de Baffin, au Groenland… Ma plus grande expérience est cependant en Himalaya où je me rends plus d’une fois par année depuis 20 ans…

Richard Rémy

Âgé de 48 ans, ingénieur en aéronautique de formation, Richard Rémy a fondé l’agence québécoise Karavaniers en 1998. En grande partie autodidacte, c’est sur le terrain que Richard s’est forgé au métier de guide, qu’il continue de pratiquer entre 3 et 5 mois chaque année. Après s’être essayé à différentes disciplines (escalade, alpinisme, kayak, trek, vélo, plongée...) il privilégie désormais les longues traversées avec une dimension technique. C’était le cas sur cette expédition, qui devait rallier le Mustang à la vallée de Phu par le col de Saribung, avant de rejoindre la Kali Gandaki par le col de Tilicho.

Je vous relate ici les faits survenus entre le 13 et le 16 octobre sur l’itinéraire du Mustang-Phu (à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau à l’est du Thorung La, où est survenue la majorité des décès, ndlr).

13 octobre 2014

“Ce sera joli sur les montagnes… tout blanc”

16h. Nous traversons un glacier à 5600 m et établissons le camp sur une moraine plus haut (environ 5800 m). Je fais les vérifications usuelles sur la sécurité de l’emplacement… Pas de danger d’avalanche apparent. À cette altitude, c’est le plus grand danger objectif. Tout le groupe, bien que fatigué, se porte bien considérant la haute altitude. Annie, cependant, est plus fatiguée que le reste des voyageurs. Il y a aussi Stéphane qui a eu des problèmes quelques jours plus tôt mais qui va bien. À cette altitude, des problèmes légers peuvent se transformer rapidement en catastrophe s’ils ne sont pas traités. Les membres de notre équipe locale se portent également bien.

En fin de journée, le ciel (qui est absolument bleu depuis plus de 10 jours) se voile légèrement. Mais je ne constate rien d’alarmant (il est normal d’avoir des chutes de neige raisonnables à cette période de l’année… j’en ai eu souvent). La pression atmosphérique est stable (baisse légère) et il n’y a pas de hausse de température soudaine qui annoncerait une dépression majeure. Le plan est donc que le lendemain nous nous lèverons à 4h00 pour entreprendre le passage du col et l’ascension de la montagne vers 5h30. Je prévois une longue journée de douze heures.

Vers 20h00, de légers flocons tombent… Au pire, ce sera joli sur les montagnes… tout blanc. Je m’endors paisiblement.

14 octobre 2014

Soudain…

L’enfer sur Terre

À minuit, un violent coup de vent me réveille en sursaut. Il neige très fort et je constate qu’il s’est déjà accumulé près de un pied de neige (30 cm). Je ne fermerai plus l’œil… pendant quarante-huit heures ! Déjà, je n’aime pas à cause des possibilités d’avalanche plus haut sur le col… je décide aussitôt que, quoiqu’il arrive, nous ne tenterons pas le sommet de la montagne. Mais un pied de neige n’est pas suffisant pour nous empêcher de passer le col. Pas encore.

2h du matin, la tente cuisine, où nous prenons nos repas, cède sous le vent et la neige, les murs sont déchirés. Mais comme elle n’est pas vitale, nous décidons de laisser aller. La tente toilette subit le même sort.

3h du matin. Le vent forcit… j’estime qu’il atteint les 100 km/h, avec des rafales plus fortes encore. Je me rends dans la tente de mon sirdar (sirdar : chef de l’équipe locale). Tendee Sherpa a mon âge, 48 ans, et beaucoup d’expérience en montagne (plusieurs ascensions de l’Everest). Surtout, nous formons lui et moi une excellente équipe car nous travaillons ensemble depuis 15 ans. Avec Tendee, nous convenons que nous ne bougerons pas avant midi… la tempête fait rage depuis environ trois heures… Ça ne peut pas durer encore longtemps.

Je décide d’aller rencontrer chaque tente (il y en a six) pour leur expliquer la situation : nous ne partirons pas tout suite, pas d’ascension de la montagne, et surtout, la tempête ne peut durer encore longtemps… Évidemment personne ne dort, mais tous sont calmes. Je les rassure. Mais au fond de moi, je sais que je n’ai jamais vu rien de tel. Je précise que la hauteur de la neige atteint environ deux pieds (60 cm). Je solidifie les attaches des tentes. À près de 6000 m, me déplacer contre le vent en ne voyant absolument rien demande un effort immense. Pour vous donner une idée, les tentes sont situées à environ 20 pieds (6 m) de distance entre elles, j’en ai six à visiter, avec celle de Tendee ; cela me prend plus d’une heure, devant reprendre mon souffle à chaque cinq pas.

Vers 5h, le jour se lève. La neige continue de s’accumuler et le vent s’intensifie. On ne voit pas les tentes (orange) à 20 pieds (6 m). Je décide alors de faire une tournée des tentes toutes les deux heures… Comme cela me prend une heure, j’ai une heure pour me reposer entre chaque. Mais le bruit du vent dans la tente est angoissant ; repos est un grand mot.

À 6h, nous décidons, Tendee et moi, vu les dangers d’avalanche, de ne pas bouger de la journée. Si la tempête s’arrête bientôt (il neige depuis six heures) peut-être demain les pentes de neige se seront stabilisées et nous pourrons redescendre. Six heures pour une tempête de cette intensité, c’est déjà beaucoup. La décision est donc prise que nous ne passerons pas le col et que nous redescendrons aux lacs de Damodar (à 5000 m)… Mais nous ne pourrons descendre plus bas car nous devrons franchir des zones dangereuses pour les avalanches…

Un autre problème se pointe : nous partions pour un trek de 30 jours et nous avions un ravitaillement de l’autre côté du col (13 porteurs étaient sur place avec la nourriture). Arrivé au col, nous avions prévu 3 jours de nourriture supplémentaire… ce qui est amplement suffisant. À noter aussi que nous devions faire fondre la glace pour obtenir de l’eau, ce qui demande dix fois plus de fuel… La décision est donc prise de rationner à une demi-portion la nourriture des porteurs et les voyageurs ne mangeront que des barres énergétiques. À ce moment je ne prévois pas encore une évacuation en hélico mais comme le village le plus proche est à trois jours mais que nous devrons laisser au moins deux jours pour stabiliser la neige, je dois prévoir les réserves. Même avec ces mesures ce sera serré. Le groupe n’est pas au courant de cette situation, inutile de les inquiéter.

8h. Aucun signe d’apaisement. Je sais bien au fond de moi qu’il y aura des morts, dans cette histoire car nous sommes près du col fréquenté sur le tour des Annapurna et c’est la haute saison… Mais je ne me doute pas encore de l’ampleur du drame, et j’ai confiance que nous ne ferons pas la première page. Cependant je rassure mes voyageurs… pas de danger d’avalanche où nous sommes, mais pas question de bouger avant 2 jours ; préparez-vous. Et je le crois. Mais en même temps, sans leur dire, Tendee et moi déclenchons les mesures d’urgence pour évacuation en hélico dès que le temps le permettra… Nous disposons d’un téléphone satellite et de deux bonnes batteries. Nous pouvons donc communiquer. Nous avons aussi de l’oxygène et un sac hyperbare en cas de problème avec l’altitude. L’évacuation devrait se faire au courant de la journée pensai-je à ce moment… Huit heures que la tempête fait rage ; ça ne peut que se terminer bientôt.

10h. Toujours mes rondes dans les tentes ; l’accumulation de neige dépasse 1 mètre. À toutes les heures, la neige s’accumule et remplit complètement l’avant-toit, si bien qu’il est impossible de sortir. Et il faut pouvoir le faire en cas d’urgence. Nous devons, donc, à genoux, le dégager régulièrement. Je précise qu’il faut faire pipi dans ce vestibule. Il faut également que les voyageurs s’assoient, s’arqueboutent contre les murs de la tente, et repoussent la neige qui s’accumule. Ils doivent aussi tenir les pôles (arceaux) des tentes lors des rafales. Les tentes que nous avons sont des Trango de Mountain Hardwear. Six sont neuves. Ces tentes sont conçues pour la haute montagne et coûtent 1000 $CA (700 €) l’unité. Il ne se fait rien de mieux… Et pourtant quelques tentes cèderont plus tard.

À midi, Tendee, fervent bouddhiste, prend le téléphone et, avec ma connaissance très partielle de la langue népalaise, je comprends qu’il appelle notre collaborateur à Katmandou, Babu Sherpa. J’apprendrai à mon retour à Katmandou que Tendee lui a demandé une puja (cérémonie) car il était convaincu de ne pas s’en sortir… Je n’ai jamais vu Tendee dans cet état… pour cause.

Vers 16h, le vent forcit toujours et aucune baisse dans les chutes de neige… Quatre pieds (1,20 m). Se rendre à la tente voisine demande un effort considérable. Je dois annoncer aux voyageurs (mais c’est une évidence) que les hélico ne viendront pas aujourd’hui et qu’il faut se préparer à une autre nuit à près de 6000 m. Je leur demande de faire un effort pour manger (personne n’a faim !) et boire car je commence à craindre l’hypothermie (qui à ces altitudes entraine une mort rapide car l’organisme dispose de peu d’oxygène ; moins de 50%). Des engelures sont aussi possibles.

À 17h, je prends la décision d’évacuer les tentes les plus vieilles qui ont commencé à montrer des signes de fatigue (en fait, elles tiennent parce que les gens les tiennent de l’intérieur) et de se regrouper à trois par tente pour les voyageurs et à cinq par tente pour les porteurs. Nous serons plus à les maintenir. Immédiatement, cinq tentes cèdent complètement ; les arceaux se brisent et les toiles déchirent.

Entre 22h et minuit, le vent augmente et les rafales sont de plus en plus fortes. L’intérieur de la tente ressemble, pour le bruit, au cockpit d’un hélicoptère. Je suis complètement crevé et surtout incrédule devant la violence mais surtout la durée de cette tempête… 24h maintenant. Depuis environ midi la veille, nous entendons régulièrement des avalanches mais comme nous sommes sur un éperon de moraine, je n’ai pas de crainte à ce sujet. Je crains le vent qui pourrait déchirer les tentes qui restent et nous priver de nos minces abris. Dans ce cas, il sera difficile de s’en sortir, et je sais que certains membres du groupe sont moins forts. Nous devons donc à tout prix maintenir nos tentes. Elles font la différence entre la vie et la mort ; un mince morceau de tissu !

15 octobre 2014

Avalanche !

À 2h du matin, ne dormant toujours pas et guettant désespérément un signe de baisse de la tempête, viennent coup sur coup les plus fortes rafales et un retentissant coup de tonnerre : une gigantesque avalanche ! Cette fois, je ne suis plus certain que nous sommes assez loin pour l’éviter. Et j’ai presque raison (heureusement pas totalement) car quelques secondes plus tard, le souffle de cette avalanche qui pousse les vents à plus de 200 km/h nous atteint et couche complètement la tente en l’enterrant (heureusement) d’une couche de neige assez mince pour pouvoir la chasser de l’intérieur… Deux des nouvelles tentes auront des arceaux endommagés ; je sais qu’elles ne résisteront pas à un autre événement du genre. Je décide donc de refaire une tournée dans les tentes mais cette fois, ce sera pour les prévenir d’une évacuation imminente possible. Les consignes sont de s’habiller complètement, avec tout le linge disponible, lunettes de skis et bottes, mais de rester à l’intérieur du sac de couchage pour ne pas perdre de chaleur…

À mon commandement, tous devront sortir le plus rapidement possible et se rendre vers la tente de notre équipe locale… Et advienne que pourra, ce sera la dernière chance. Mais que ferons-nous ? J’admets que je commence à ne plus avoir de plan B,C, D… Je me souviens à ce moment, dehors, et parce que personne ne pouvait m’entendre, avoir crié que je ne la trouvais plus drôle ! À cet instant, en fervent athée que je suis, je dis aux gens que s’ils sont croyants, c’est le moment de demander des faveurs… et que j’espère qu’ils ont raison ! Je sens un sentiment de panique (bien contrôlé) s’installer. Je sens ce sentiment encore plus grand chez les porteurs. Ce qui peut être dramatique car nous avons besoin d’eux pour transporter éventuellement nos choses. Heureusement, les tentes restantes résisteront et je n’aurai pas à faire appel à cette évacuation d’urgence.

Vers 5h du matin, le vent diminue considérablement et la neige s’arrête. J’estime qu’il est tombé entre 4 et 5 pieds de neige (1,50 à 1,80 m) en trente heures de tempête. Je respire enfin.

À 8h, il fait grand beau temps ; l’évacuation pourra avoir lieu. J’appelle donc Babu (contact à Katmandou) pour qu’il accélère les procédures. La compagnie d’assurance de Karavaniers (Globe trek) est prévenue. Il n’est évidemment pas question de se déplacer. Ce qui est trompeur car il fait TRÈS beau… Mais il faut être ferme car les voyageurs ou des porteurs pourraient insister pour bouger. Cela aurait été une erreur de le faire ; les pentes de neige sont très instables. Malgré l’inconfort de notre position et surtout le froid et l’altitude, c’est quand même l’endroit le plus sécuritaire. Quoiqu’il en soit, la décision irrévocable est de ne pas bouger. Je dis même à un voyageur qu’il faudra trois jours avant que la neige se soit un peu stabilisée ! Mais ce que je sais, et qu’eux ne savent pas, c’est que nous manquerons de nourriture et de fuel (donc d’eau) avant.

La neige et le vent ont littéralement transformé un paysage, quasiment sec 72h plus tôt.

À 9h, Babu me rappelle en me disant que tout est bon ; les permis de survoler la zone interdite du Mustang sont délivrés et un hélico de l’armée qui peut embarquer environ 20 personnes devrait arriver avant midi. Nous aménageons une piste d’atterrissage sommaire. Vers midi, nous apprenons que cet hélicoptère ne peut se poser à notre altitude. Ce sera donc trois hélicos (de 5 passagers) qui viendront nous chercher. Ils sont déjà en route… la bonne humeur revient mais il fait froid. Deux ou trois personnes commencent à avoir sérieusement froid et il faut réchauffer les pieds d’une personne qui ne les sent plus. Il était à prévoir que des engelures allaient survenir…

Les heures passent… et rien. J’appelle Babu régulièrement qui me dit que les hélicos arrivent, mais je sens dans sa voix que même lui ne sait pas trop ce qui arrive. J’apprendrai le lendemain que le District officer de l’aéroport de Jomosom (le plus près de notre position) n’avait pas reçu les papiers pour autoriser un survol du Mustang. Et malgré l’urgence de la situation, encore tenable à ce moment, l’officier ne donnera pas l’autorisation. Nous apprendrons dans les jours suivants que le ministre n’avait pas encore jugé la situation assez urgente. Or nous savons maintenant de que cette tempête a couté la vie à près de 50 personnes dont 3 Québécoises et plusieurs Canadiens.

À 17h, avec le soleil qui se couche, je dois me résoudre à remonter encore une fois le campement, que nous avions démonté devant l’imminence de l’arrivée des hélicos. Le moral des troupes en prend un coup. De plus, nous ne mangerons qu’une soupe ce soir car nous laissons la nourriture aux porteurs. J’explique aux voyageurs qu’il y a une situation qui nous échappe, administrative cette fois, mais que j’ai confiance en Babu (avec qui je travaille depuis 20 ans) et que demain matin sans faute, tout rentrera dans l’ordre. Nous en sommes donc à notre troisième nuit à 5800m. Pour ma part, avec près de 48h sans sommeil, une situation (disons) stressante et peu de nourriture, je sais que je ne suis plus en situation de prendre des décisions. L’altitude renforce ce sentiment. Je dis donc à mon groupe que je dois dormir. Et sous la fatigue je m’endors rapidement. Je me réveille quelquefois durant la nuit mais tout est calme.

16 octobre 2014

La délivrance

Je me réveille à 5h et j’appelle Babu, qui me dit que les hélicos ont décollé de Katmandou et qu’ils sont à Jomosom, donc à 20 minutes de vol de notre position. Je réveille donc les gens en catastrophe en leur disant que les hélicos seront là dans 10 minutes… Il faut faire les bagages et démonter les tentes ! Mais encore une fois, le temps passe et passe.

8h. Je réussis à parler au district officer en lui disant que c’est maintenant une question de vie ou de mort… Je ne connais toujours pas l’ampleur de la catastrophe ailleurs à ce moment mais je sais qu’il vaut mieux sauver des vivants (dans l’urgence) que de trouver des cadavres dans une avalanche. Entre temps, Babu réussi à parler directement à un ministre et le gouvernement proclame enfin l’état d’urgence.

9h. Un hélico se pose à notre campement et le pilote sort, furieux, en m’expliquant que depuis hier ils sont en position de nous sortir mais les tracas administratifs les ont empêchés de voler ! En même temps, je dois coordonner l’évacuation et j’apprends (je m’en doutais) qu’à cette haute altitude, l’hélico ne peut prendre que deux passagers sans les bagages. Le copilote sort de l’hélico avec sa bouteille d’oxygène (à 5800m, sans l’acclimatation, il mourrait rapidement). Il faudra donc plusieurs voyages et ce sera long.

L’évacuation se fait par palier. D’abord nous emmener en sécurité un peu plus bas ; tous seront transportés à 5000 m (Damodar Kundo), où un employé nous attend avec de la nourriture. Il y a aussi de l’eau disponible d’un ruisseau. Dans le pire des cas (problème mécanique avec l’hélico ou détérioration de la température, nous pourrons attendre ici en sécurité une ou deux journées. Ensuite, un transport à Tsarang à 4200 m pour éviter toutes les zones d’avalanche et nous sortir de la neige. Encore une fois, c’est une zone où nous pourrions attendre. Retransport à l’aéroport de Jomosom pour un compte-rendu aux autorités. Enfin, transfert à Pokhara en fin d’après-midi. Il faut ajouter qu’à ces altitudes, l’hélico consomme beaucoup de fuel et porte peu de poids… Il y aura donc, en plus du transport des personnes et des bagages, des allers-retours pour aller chercher du fuel. Nous avons eu droit à un service très professionnel et efficace.

Vers 18 h, nous sommes tous en sécurité à Pokhara.

Épilogue

Quelques jours plus tard, nous avons repris la route des sentiers de montagne pour aller visiter le pays sherpa… un trek plus calme qui a permis à tous de se réconcilier avec la montagne. Reinhold Messner, le plus grand alpiniste du 20e siècle disait : “La montagne n’est ni juste ou injuste, elle est dangereuse !” Pour les alpinistes oui, mais pour les marcheurs, ce jour-là, elle a été injuste, notamment pour les 3 Québécoises décédées, ainsi que pour la compagnie Terra Ultima.

Conclusion

Je retiens ici les points principaux

  • Tempête d’une rare violence… 2014 sera, depuis l’ouverture du Népal dans les années 1950, l’année la plus meurtrière et de loin. Et cela aurait pu être pire.
  • La compagnie privée d’hélicoptère, faisant confiance en Babu (et c’est inestimable) a envoyé deux hélicos et six personnes durant près de dix heures sans aucune garantie de paiement par les assurances. La facture s’élève à plus de 50 000 $CA (35000 €). La réputation de Babu et celle de Karavaniers, en plus des décisions prises sur le terrain, nous ont sauvé la vie. Une jeune entreprise ou des voyageurs indépendants n’auraient pas eu les hélicos.
  • Si les hélicos n’étaient pas venus après la troisième nuit, nous aurions manqué de fuel et de nourriture. S’en serait suivi des engelures et, rapidement, des morts.
  • Les compagnies d’assurances nous ont répondu qu’ils ne payaient qu’en cas de blessure. Nous avons sauvé la vie de plusieurs personnes et donc (aux assureurs) sauvé une fortune. Mais mon erreur, c’est que personne n’est blessé. J’en conclus que j’aurais dû casser le bras de chaque voyageur juste avant de prendre l’hélico pour éviter les problèmes. J’en conclu aussi que si je n’avais pas eu les hélicos, les assurances auraient payé pour rapatrier des cadavres, envoyer un employé un Népal, traiter des engelures, payer des hôtels, bien-sûr payer des hélicos. Au lieu de 50 000 $CA (36000 €), la facture aurait dépassé le million probablement.
    Les avalanches tuent… mais pas le ridicule.

Richard Rémy
Guide. Et heureux d’être en vie.

En savoir plus...

Le numéro 160 de Trek Magazine, à paraître en février 2015, reviendra largement sur cette tragédie survenue au Népal. Vous pourrez le retrouver en kiosque et sur tablettes.
Tous droits réservés - Textes : Richard Rémy. Photos : © Richard Rémy, Amandine Pras, Stéphane Sanfaçon, Daniel Ouelle
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